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Édouard Habrant Grand maître de la Grande Loge Mixte de France

Créée en 1982, la Grande Loge Mixte de France compte aujourd’hui un peu plus de 5000 membres, répartis au sein de 236 loges. Elle cultive avec force son indépendance et la marque de sa mixité. Pour Édouard Habrant, grand maître de l’obédience, la franc-maçonnerie doit plus que jamais s’extérioriser.

Hélène Cuny : Qu’est-ce qui fait la spécificité de la GLMF ?

Edouard Habrant : La mixité est un pilier fondamental, même si cette question est tranchée parmi la plupart des obédiences. Ici, nous parlons d’une mixité qui n’est pas simplement une coexistence. L’enjeu est de mettre fin au rapport de domination homme/femme et aux discriminations. Et nous pensons que la mixité est l’un des seuls moyens d’y parvenir.

 

HC : Comment décririez-vous la GLMF ?

EH : La GLMF est une fédération de loges dont les membres sont issus à l’origine d’horizons divers, mais essentiellement du Droit humain, de la Grande Loge Mixte Universelle et du Grand Orient de France. Tous les rites y sont représentés. Cette diversité reflète la manière dont la franc-maçonnerie appréhende le monde. La difficulté est de se donner la possibilité d’explorer un chemin qui ne soit pas déjà tout tracé, tout en ayant une capacité à s’unir et à ne pas se disperser. On le voit aujourd’hui, signer un communiqué de presse commun entre obédiences relève du véritable défi.

 

HC : Sur quels types de sujets travaillez-vous ?

EH : Il me semble toujours réducteur d’opposer les travaux symboliques et de société. Notre travail en loge consiste à aborder tout type de sujets avec des outils maçonniques. C’est tout l’intérêt ! Pas de spécialiste ni d’assignation à une place dans cette démarche, mais l’apport d’un regard et d’une singularité. Chacun peut s’extraire de sa profession pour apporter sa vision.

 

HC : Quel rôle doit jouer la GLMF dans notre société ?

EH : Deux ouvrages m’ont profondément marqué lorsque j’ai été initié : Ernst et Falk, dialogues maçonniques de Lessing et La crise de la conscience européenne de Paul Hazard. L’un par son approche initiatique, l’autre en montrant le basculement d’une France soumise au règne de l’autorité à celui du libre arbitre permettent de comprendre la genèse de la franc-maçonnerie. Car, comment est-on passé d’un environnement dogmatique, avec une religion officielle, à une forme de modernité dont tous les germes se trouvaient déjà en présence à la fin du XVIIe siècle ? Ce n’est pas un hasard si la franc-maçonnerie va naitre à ce moment-là. Elle contient en elle une défiance vis-à-vis du pouvoir absolu. À la GLMF, on retrouve cette inclination à la contestation et au rejet de l’ordre. Une majorité de nos membres va même jusqu’à considérer que l’obédience n’a aucune utilité. Cette conception extrême me parait erronée, tout d’abord parce que la franc-maçonnerie n’a pas vocation à être une tour d’ivoire ni à servir de refuge. Une telle vision amènerait un isolement des loges et à terme l’atrophie. Ensuite, la maçonnerie ne se résume pas aux loges ; le rôle de l’obédience est de fournir des outils à ces dernières, et de s’adresser à elles pour créer du lien et fournir de la matière à penser. Les deux structures doivent travailler en synergie avec in fine une ouverture vers l’extérieur, car la franc-maçonnerie si elle ne s’ouvre pas, est condamnée.

 

HC : À l’ère d’Internet et des réseaux sociaux, comment concilier secret et ouverture ?

EH : Plusieurs phénomènes sont à l’œuvre. On critique souvent l’Europe, celle des marchés financiers qui agiraient contre les peuples. Pourtant, c’est l’Europe qui nous a apporté les outils pour lutter contre les discriminations et les inégalités. Aujourd’hui, elle insuffle un nouvel élan dans le cadre de la protection des données, même si je pense que nous, francs-maçons aurions eu vocation à être force de proposition dans ces domaines ; mais force est de constater que nous étions en retard sur la question des fichiers, car nous n’assurions pas la protection fiable des données de nos membres. Or cela reste une attente forte de leur part. Pour l’heure, tout n’est pas résolu, car subsiste encore un manque de transparence sur les données qui sont effectivement conservées par les obédiences et sur celles transmises entre obédiences. La question du droit à l’oubli est aussi là. Le nouveau règlement européen sur la protection des données personnelles est une chance : il nous oblige à penser en termes de sécurité et de liberté. Les obédiences doivent travailler ensemble pour établir ces règles.

 

HC : Comment faites-vous entendre la voix de la GLMF ?

EH : Réfléchir sur notre histoire et en laisser une trace me parait une étape importante. Il n’existe pas d’ouvrage relatant l’histoire de la GLMF. C’est l’occasion de prendre un peu de distance sur notre vision de l’obédience. La franc-maçonnerie doit fournir des clefs pour décrypter l’avenir et le construire ; si on prend l’exemple du radicalisme, essayer d’en comprendre les ressorts et ne pas se laisser imposer le diktat de l’actualité fait partie du projet maçonnique. Notre objectif est de mobiliser toutes nos ressources internes, et pas seulement le conseil de l’ordre, instance décisionnelle. Beaucoup de gens n’osent pas s’impliquer au prétexte qu’ils n’ont pas de mandat. Or chacun peut apporter quelque chose.

 

HC : L’Italie a beaucoup fait parler d’elle en particulier sur les migrants avec l’Aquarius. Comment voyez-vous la situation ?

EH : Il est un peu facile de fustiger l’Italie. Je pense qu’il est de la responsabilité des peuples de ne pas laisser les gouvernants dialoguer uniquement entre eux (approche ô combien paternaliste !). L’Aquarius révèle le besoin croissant d’Europe. Nous vivons à une échelle mondialisée et certaines questions ne peuvent plus se régler à l’échelon national. Mais un besoin accru d’Europe signifie plus de clarté et de motivation dans son fonctionnement. Sur la question de l’interdiction faite aux francs-maçons d’entrer au gouvernement italien, la GLMF s’est offusquée* ; peut-être faudrait-il pourtant se demander quelle image véhicule la franc-maçonnerie ? Et pourquoi un préjugé négatif perdure-t-il dans la société ? Montrer ce que nous faisons n’est pas incompatible avec le secret. Nous sommes trop figés dans des représentations mythiques de notre histoire, avec une certaine adoration du passé. Notre âge d’or doit être devant nous. Cessons d’avoir peur, car plus on tend à se cacher, plus on alimente les fantasmes. La franc-maçonnerie n’est la propriété de personne, elle est notre bien commun. Il faut que chacun se l’approprie et puisse s’exprimer sans uniquement compter sur l’obédience pour assumer cette ouverture.

 

 *Communiqué de presse signé le 1er juin par la GLMF, le Droit Humain, le Grand Orient de France, la Grande Loge Mixte Universelle et la Grande Loge des Cultures et de la Spiritualité.

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