Culture

Immersion abyssale dans le surréalisme

Moins connue que Rocamadour, le gouffre de Padirac ou la grotte de Pech Merle, Saint-Cirq-Lapopie, située à 30 km de Cahors, mérite plus que jamais le détour avec l’exposition « À flanc d’abîme. Surréalisme et Alchimie » du 21 mai au 31 octobre 2023. Sous forme d’un « parcours événement », elle se déploie sur cinq lieux dont quatre sites patrimoniaux : la Maison André Breton, le musée Émile Joseph-Rignault, la Maison privée Lespagnol et le Château médiéval de Cénevières avec un cabinet d’alchimiste unique.

 

En 1950, à Cahors, lors d’un rassemblement des « Citoyens du monde », mouvement pacifiste d’après-guerre, le poète surréaliste André Breton (1896-1966) tombe sous le charme de Saint-Cirq-Lapopie, la « perle du Lot », et y acquiert une résidence secondaire. Il s’y rendra tous les ans et à la fin de sa vie y recevra longuement ses amis parmi lesquels des auteurs ésotériques dont René Alleau (1917-2013), franc-maçon à la Loge Thebah n° 347 de la Grande Loge de France. En 2013, sa maison médiévale est mise en vente et achetée par un collectif « La Rose impossible ». Bien que rachetée en 2016 par la commune, cette association en restera le gestionnaire. Elle sera labellisée « Maison des Illustres » en 2018.

Dans le cadre de l’inauguration du Centre International du Surréalisme et de la Citoyenneté Mondiale, après plusieurs années de travaux, est organisée sa réouverture avec cette impressionnante exposition. Ses commissaires, Clément Gaësler, conservateur de la Maison André Breton et Yoan Armand Gil, artiste et éditeur d’art dans ses dynamiques éditions « Venus d’Ailleurs », se sont employés à nous faire découvrir plusieurs imaginaires en évoquant les aspects de l’art magique ancien, l’alchimie traditionnelle, jusqu’à la modernité du mouvement d’André Breton. Partir du surréalisme historique pour parvenir à la création contemporaine. Ils réunissent des artistes venus à Saint-Cirq-Lapopie entre 1950 et 1966 comme la Tchèque Toyen ou le Cubain Jorge Camacho qui pratiquait l’alchimie opérative. Pas moins de trois expositions de dix artistes contemporains parmi lesquels le Toulousain Serge Pey et ses 22 lames de tarot dans la salle de la Fourdonne ou Benoît Pingeot dans la Maison Lespagnol, sont proposées.

Carte blanche a été donnée au château de Cénevières à Yoan Armand Gil. Il nous a confié comment il a découvert une œuvre inédite de 500 aquarelles, collages, dessins de René Alleau grâce à sa fille Camille Coppinger. Jusque-là, on ne lui connaissait que Danaé, une aquarelle exposée à la Biennale de Venise organisée en 1986 par le poète surréaliste Arturo Schwarz et celle représentant Elisa Breton, la troisième et dernière épouse d’André Breton. Cette œuvre apparut lors de la vente aux enchères de son appartement du 42 rue Fontaine à Paris qu’il occupait depuis 1922. Son inventaire comptait huit volumes de pièces qui furent dispersées en 2003 à l’hôtel Drouot. Parmi elles, une pierre de Saint-Cirq-Lapopie qu’André Breton avait offerte à Élisa avec une dédicace : « Souvenir du Paradis terrestre ».

Havre de paix loin du tumulte parisien où le maître à penser ne vivait pas isolé, mais entouré d’un cercle où se côtoyaient des sommités de différents domaines comme l’ésotérisme, l’alchimie et bien sûr la franc-maçonnerie. « En quelques années, dit Jean-Pierre Lassalle, la Loge Thebah [créée en 1901] rassembla en son sein plusieurs surréalistes parmi lesquels René Alleau, Elie-Charles Flamand, Bernard Roger, Guy-René Doumayrou, Roger Van Hecke, Jean Palou ». On pourrait multiplier les exemples tant les francs-maçons étaient nombreux dans cette sphère. Le colloque « Surréalisme et alchimie », qui se tiendra en marge de l’exposition cet automne, nous en révèlera plus, mais en attendant sont disponibles l’article de David Nadeau sur René Alleau dans les Chroniques d’histoire maçonniques, n° 78, 2016, p.62-69 et les livres de Patrick Lepetit Le Surréalisme, parcours souterrain (Dervy, 2012) et Surréalisme et alchimistes, chemins croisés (éditions Selena, 2023).
Dans le livre d’or de la commune, André Breton a qualifié Saint-Cirq-Lapopie, de « rose impossible dans la nuit ». Alors comme le recommandait Ronsard dans un de ses Sonnets pour Hélène : « Cueillez dès aujourd’hui les roses de la vie ».

 

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