Culture

Le Nil est la veine de tout

Entre l’imagination qui l’anticipe et l’étirement infini qu’en permet sa remémoration, la forme d’un voyage se cantonne rarement à sa seule durée effective. Le voyage en Égypte du peintre suisse Paul Klee (1879-1940) en offre une vibrante démonstration.

Le 17 décembre 1928, Paul Klee pose le pied en Égypte pour la première fois. Âgé de 49 ans, le peintre n’en est pas à son premier voyage. Déjà en 1900, à peine était-il admis à l’Académie des arts de Munich, que l’artiste part avec un camarade d’étude pour découvrir les trésors que recélait l’Italie voisine. Cinq ans plus tard, c’est un séjour à Paris qui familiarise son œil aux dernières tendances picturales. Avant de connaitre un franc succès avec l’exposition de ses tableaux à la galerie Der Sturm de Berlin, l’artiste s’était embarqué pour la Tunisie avec les peintres August Macke et Louis Moillet. Théâtre d’une prise de conscience de sa vocation de peintre, la douzaine de jours qu’il y passe constitue pour lui une révélation de la couleur essentielle pour l’ensemble de sa future carrière.     
Ainsi, l’homme qui arrive au port d’Alexandrie est un artiste et un professeur réputé. Son travail est prisé par de nombreux collectionneurs qui financent, par l’entremise d’une association, son voyage en Égypte. Il mettra environ un mois à remonter le cours du Nil jusqu’Assouan. De l’éclat lumineux des pyramides de Gizeh à l’obscurité des temples thébains en passant par les rivages populeux du fleuve, le pays lui fait forte impression. Trop forte peut-être. Il ne produira in situ que deux dessins.  
Mais les premiers effets se font sentir l’année suivante où, dominées par une palette ocre, ses œuvres intègrent progressivement une iconographie égyptienne. Le calme de l’atelier lui permet de digérer la consistance de son voyage. Mais par-delà la représentation de simples motifs (scènes, monuments…), la peinture de Paul Klee se joue de la porosité entre l’abstraction et la figuration tout en interrogeant les fonctions de la couleur et l’exploitation graphique des signes hiéroglyphiques. Comme l’enfance constitue pour l’artiste un temps primordial de créativité et de liberté, la civilisation de l’Égypte ancienne lui apparaît a postériori comme porteuse d’un message essentiel. 
Le soleil rouge des bords du Nil est chassé par les nuages bruns qui plongent l’Allemagne dans les ténèbres. Exilé à Berne, souffrant d’une sclérodermie qui lui sera fatale, Paul Klee multiplie frénétiquement les œuvres d’inspirations égyptiennes. Cette production culmine en 1939 avec la création de près d’un millier d’œuvres dont Am Nil.  
Dans cette œuvre, une barque – image ancestrale du passage vers l’au-delà – vogue à la surface du Nil ; ce fleuve magique dont le peintre écrivait à sa femme qu’il est « la veine de tout ». Ainsi, le peintre puise dans une mythologie plusieurs fois millénaire pour mettre en image ses réflexions sur la propre mort dont il devine l’imminence. Elle le cueillera l’année suivante.   

Pour aller plus loin : Égypte : Le Souffle du temps (MAZART production, mars 2021)

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