Culture

Marc Chagall : Voyager dans la Bible

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Malgré la foule rassemblée dans la petite synagogue de l’hôpital Hadassah de Jérusalem ce 6 février 1962, le silence est religieux. Les regards convergent vers le pupitre. Marc Chagall s’apprête à prendre la parole en Yiddish, sa langue maternelle. 

À propos de l’inspiration de la série de douze vitraux qu’il est venu inaugurer, le peintre s’étonne : « Comment l’air, comment la terre de Vitebsk, ma ville natale, se trouvent-ils mêlés à l’air et à la terre de Jérusalem ? » . Soixante-quinze ans après sa naissance, Marc Chagall convoque les souvenirs d’une enfance élevée au rang de mythe. Omniprésente dans sa peinture, elle l’aura donc suivi toute sa vie. L’artiste poursuit son discours. Il revient, ému, sur son premier voyage en Palestine, trente ans plus tôt…
C’est à l’invitation de Meir Dizengoff, le premier maire de Tel-Aviv, que Marc Chagall entreprend ce premier voyage au cours du printemps 1931. Il est alors accompagné de Bella Rosenfeld, sa femme, et d’Ida, leur fille âgée de quinze ans. Ils visitent les kibboutz, les principaux lieux saints et Jérusalem, une ville dont le père de l’artiste ne pouvait prononcer le nom sans pleurer. Chagall est le témoin réjoui du renouveau de la présence juive et rencontre des peintres, comme Reuven Rubin (1893-1974) originaires de Roumanie, qui ont fait le choix de s’établir définitivement au Levant.  
Mais ce qui émerveille par-dessus tout l’artiste ce sont les immensités désertiques du Néguev. Elles lui donnent l’impression grisante d’enfoncer ses pas dans les pages de la Bible. Mystique plus que religieux, mais néanmoins familier du hassidisme et de la kabbale, Chagall, dès son plus jeune âge, fait du récit biblique la principale source de son imaginaire. « C’est, dira-t-il en 1973 lors du discours d’inauguration du Musée national Message biblique de Nice, la plus grande source de poésie de tous les temps » . 
En plus d’interroger son identité d’artiste juif, ce voyage nourrit son inspiration pour une série que le marchand d’art Ambroise Vollard venait de lui commander pour illustrer la Bible. Les quarante gouaches qu’il réalise une fois rentré à Paris seront exposées en avril 1934. Dans une atmosphère méditative, les personnages qu’il représente sont emplis d’une profonde humanité.  
Ce voyage de trois mois a entamé une relation fertile entre l’artiste et ce qui deviendra en 1948 l’État d’Israël. La tenue d’une rétrospective en 1951 dans le tout nouveau Musée d’art moderne de Tel-Aviv n’en est qu’une des nombreuses manifestations. 
Mais cette relation qui enjambe les siècles, les cultures et les croyances, culmine sans doute avec la commande en 1962 d’un triptyque de tapisseries représentant l’Exode que Chagall réalisera en collaboration avec la manufacture des Gobelins. Puisant dans le répertoire biblique qu’il passa sa vie à méditer, l’œuvre monumentale orne la salle d’honneur de la Knesset, le parlement israélien construit sur une colline en périphérie de Jérusalem. On imagine la larme couler sur la joue du père de Chagall s’il avait pu assister à l’inauguration en juin 1969.

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