Société

Télévision et citoyens : quelles relations ?

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Pour les maçons qui aspirent à comprendre le monde, réfléchir sur le rapport entre TV et citoyen semble essentiel. Parce que la TV a une fonction sociale. Elle fascine autant qu’elle repousse. Tout citoyen a un avis sur ce que doivent être ses programmes, qu’il n’hésite pas à dénigrer. La confiance dans les médias s’effondre, surtout pour la tv qui recueille un niveau de confiance de seulement 38 % (-10 points en un an, baromètre Kantar-La Croix 01/19).

Ne parler que télévision est toutefois réducteur. On dénombre plus de 6 écrans par foyer, deux de plus qu’il y a 10 ans. D’où une transformation des usages des médias et une forte croissance du temps passé à les consommer (plus de 20 %). Pour le média TV, l’avènement du digital a entraîné une bascule progressive d’une partie de la consommation de la TV en live, vers la TV de rattrapage et sur les écrans Internet. Ces consommations pèsent environ 10 % des usages TV.

L’utilité pour le citoyen a été dès sa naissance au cœur de l’offre de la télévision, même s’il ne faut pas s’en tenir à une vision idéalisée. Ainsi, la tv publique a été d’emblée soucieuse de faire partager la culture à un plus grand nombre (les dramatiques). 
Mais nous savons aussi que la physionomie de la TV est duale. Côté face, une télévision fédératrice et émancipatrice, côté pile, une télévision « opium du peuple », deux aspects qui cohabitent depuis l’origine.
Différents mouvements ont fait levier quelque part du « mauvais côté » mettant en cause l’utilité sociale de la TV : le PAF a profondément évolué, de même que le citoyen d’aujourd’hui n’est plus celui des années 50.  
Trois chocs majeurs ont affecté le paysage audiovisuel : la concurrence, la révolution numérique, l’internationalisation.

Mais le citoyen, lui aussi, a évolué. Notre société postmoderne est une société dans laquelle le citoyen est plus difficile à cerner qu’auparavant. L’identité une et indivisible est dépassée au profit d’identifications multiples. L’universalisme cède la place à des affects locaux qui s’épanouissent notamment sur les réseaux sociaux. 
Un ensemble de phénomènes, de la déchristianisation à l’individualisme de masse, a abouti à une fragmentation de la société française devenue un archipel. La TV a suivi voire précédé ce mouvement de fragmentation. Accumulation de reality-shows, téléréalité, interactivité. Il en résulte une culture de la différence pour soi et de l’indifférence pour les autres. Le lien social, notre chaîne d’union, est sérieusement mis à mal. Comme le souligne Jean-Louis Missika, la place de l’information sérieuse diminue. Les chaines d’info ont largement contribué à renforcer ce mouvement. La fragmentation de l’espace télévisuel, la multiplication des chaînes spécialisées, l’Internet et la multiplication des outils ont déstructuré le débat public. Le média TV ne parait plus pertinent comme réponse à la nécessaire appropriation d’un référentiel de débat commun. D’autant que parallèlement la mondialisation et la pression concurrentielle induisent une banalisation des contenus. 

Quel peut être l’avenir de la télévision ? Conservera-t-elle son rôle au service de la « chaîne d’union » ou faut-il, comme certains l’affirment, renoncer à la défendre ?
Le renoncement, ce pourrait être d’abord de donner raison à ceux qui annoncent la fin de la télévision. Ce pourrait être aussi de renoncer à la TV publique, au prétexte qu’elle n’aurait plus de légitimité. Ce serait enfin de voir la société selon le seul prisme de l’opposition entre d’une part, une société cimentée par les valeurs républicaines et, d’autre part, un monde nouveau dévoré par l’individualisme et le communautarisme.

L’autre voie, c’est de retravailler les fondations afin de mettre à niveau les pierres d’un nouvel édifice médiatique, légitimé par son utilité sociale et sa convergence avec la société. Nos concitoyens cherchent plus que jamais des repères et des références. Il doivent disposer de clés d’analyse critique et de compréhension solides. L’enjeu est de rassembler les différentes composantes de notre société archipellisée. La TV peut constituer l’une des réponses. En vecteur de cohésion sociale, assumant sa mission fédératrice des publics et porteuse des valeurs d’universalité, d’indépendance, de diversité, de responsabilité, de qualité et de création. Le citoyen doit ressentir qu’elle s’adresse à lui personnellement parce que la déclinaison de son offre sait lui parler, qu’il peut participer à sa construction et se l’approprier. Il s’agit d’insuffler de l’horizontalité, de la proximité et de la diversité dans la promesse télévisuelle, ce que la révolution digitale permet.

Au final la TV doit conserver ou retrouver l’ambition d’être en phase avec les gens, au service de la société, d’être une TV pour tous et en même temps pour chacun. Il s’agit de garder à l’esprit qu’il existe en chaque téléspectateur quelque chose qu’il faut faire ressortir pour le bien de tous. N’est-ce pas le propre de la démarche maçonnique ? 

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