Société
Renaud Dély par Claude Truong-Ngoc, juin 2013

Interview : Renaud Dély

Journaliste à la radio et à la télévision (France Info et Arte), Renaud Dély* est un fin connaisseur et analyste de la vie politique française. Nous l’avons rencontré le 27 juin dernier, après la récente séance électorale, présidentielle et législative. En toute liberté, il nous a parlé du système politique français, de son évolution et de ses problèmes.

* Renaud Dély a publié de nombreux ouvrages. Dernier titre paru : Anatomie d’une trahison. La gauche contre le progrès (Éditions de l’Observatoire, 2022).

Denis Lefebvre : La personnalisation du pouvoir est-elle la cause principale de nos problèmes actuels ?
Renaud Dély : Elle est inscrite dans les textes fondateurs de la Ve République, renforcés par l’élection du président au suffrage universel. Ce qui a accéléré encore plus cette personnalisation, au-delà du tempérament personnel de nos présidents successifs, c’est l’instauration du quinquennat. Certes, ce n’est pas le quinquennat en tant que tel qui est en cause, c’est le fait que les législatives ont été placées dans la foulée de la présidentielle. Encore plus que par le passé, tout ou presque tient du président. Les mots d’hyperprésidentialisation, de maître des horloges, de Jupiter sont entrés dans notre langage courant. Hollande avait lancé la formule de président normal, cela a échoué, lui-même le reconnait d’ailleurs. Par définition, le président n’est pas normal, il l’est encore moins depuis l’instauration du quinquennat, il doit être partout, tout le temps. Sarkozy et Macron l’ont intégré. Mais, d’un point de vue démocratique, c’est inquiétant, voire désastreux, que tout dépende, y compris dans notre imaginaire collectif, d’un seul homme. C’est insatisfaisant aussi.
Donc, il y a les hommes, leur fonctionnement, mais en regard (c’est un peu la poule et l’œuf !) il y a la culture politique qui est la nôtre, extrêmement dépendante du sommet depuis des siècles : nous attendons à la fois l’oracle du président et nous nous dépêchons de le contester dès qu’il le livre.

DL : Nos institutions, très puissantes, personnalisées, concentrées dans un individu ou une poignée d’individus, ne sont-elles pas de plus en plus délégitimées par une abstention qui bat des records, et par des mouvements de type gilets jaunes ?
RD : C’est clair. Mais quelles réponses donnent nos dirigeants ? Quand ils prennent conscience de la remise en cause des institutions par les citoyens, ils inventent des outils qui peuvent eux-mêmes contribuer à délégitimer la démocratie parlementaire. Un exemple ? Le fait de constituer la convention citoyenne pour le climat, avec des citoyens tirés au sort pour leur demander des propositions peut contribuer à faire baisser la participation aux élections. À quoi bon aller voter, élire des parlementaires, puisque débats et propositions se déroulent ailleurs qu’au Parlement qui a pourtant toute la légitimité ?
Il faut régénérer, et même ressusciter le Parlement. Le résultat des élections législatives va peut-être le permettre. 

DL : Une des solutions ne serait-elle pas de revenir sur la réforme de 1962, pour en revenir avec ce que certains ont appelé dès cette époque l’élection d’un monarque républicain ?
RD : À titre personnel j’ai un vrai doute sur cette élection, mais il faut être lucide : les Français ne supporteraient pas qu’on s’oriente vers un autre système.

DL : On évoque parfois l’instauration d’un vrai système présidentiel…
RD : La question se pose d’une évolution à l’américaine… donc, rendre le président responsable devant le Parlement, qui aurait une importance considérable, comme aux États-Unis, où les contre-pouvoirs sont extrêmement forts.

DL : Ce serait plus démocratique ?
RD : Oui, en allant jusqu’au bout : supprimer le poste de Premier ministre. À quoi sert-il ? Il est juste un fusible, qui fait que le président est hors-sol, qu’il soit jupitérien ou pas, il n’a pas de comptes à rendre au Parlement.
Je me répète : un parlement fort, cela passe par la responsabilité du président devant lui. 

DL : La question du mode de scrutin serait à poser également…
RD : C’est une évidence. Longtemps j’ai été partisan du scrutin majoritaire. Dans un système politique instable, fragilisé, en grande partie délégitimé, fragilisé par l’abstention et la montée des extrêmes, le scrutin majoritaire permettait de faire fonctionner l’ensemble, cohabitation ou pas…

DL : … Mais avec quelques partis centraux forts, bien organisés, structurés…
RD : Tout à fait ! Mais, aux dernières législatives, les électeurs ont en quelque sorte proportionnalisé le scrutin majoritaire, qui ne permet plus de dégager une majorité claire. La proportionnelle retrouve une légitimité, mais ce ne serait pas suffisant pour que le système fonctionne ou tout au moins redémarre. Le résultat des dernières élections législatives contraint à changer, sauf à bloquer tout le système. Le rapport de force imposé par les électeurs à l’Assemblée nationale doit modifier certains comportements, inciter à discuter, essayer de trouver des compromis. Bref, retrouver des pratiques complètement perdues sous la Ve République.

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