Société

Lettre ouverte à trois nouveaux grands maîtres

Les calendriers maçonniques rejoignent parfois l’astrophysique et les alignements des planètes. Cette année le microcosmos nous offre trois changements de Grands Maîtres quasi concomitants parmi les plus importantes obédiences françaises (Grande Loge Féminine de France en mai, avec l’élection de Marie-Thérèse Besson, Grande Loge de France en juin et Droit Humain fin août). Belle opportunité d’interpeller les trois nouveaux Présidents et Présidentes auxquels nous pourrions même ajouter les tout récents Grands Maîtres de la Grande Loge Traditionnelle et Symbolique Opéra et de la Grande Loge de l’Alliance Maçonnique Française…

 

Bien évidemment, le rapprochement des deux grandes obédiences que sont le Grand Orient de France et la Grande Loge Nationale Française doit aussi être considéré comme une chance dans ce contexte, pour autant qu’ils acceptent le message des autres obédiences. Car le spectacle que le microcosme a donné ces derniers mois n’est pas à la hauteur des enjeux qui se posent à la société française. Les positionnements géopolitiques, la langue de bois, les anathèmes des uns, la régularité des autres la reconnaissance anglo-saxonne sont des sujets qui n’intéressent pas les frères et les sœurs.
À l’heure de la déconnexion des élites, de l’indigence et l’inculture de la classe politique, de la démission de l’État, n’y a-t-il rien de mieux à faire pour les « humanistes » que de se dénigrer par blogs interposés ?
Notre société est à un carrefour, à la croisée de chemins difficiles. Après l’abandon du peuple par la droite et la gauche confondues au profit des extrêmes, ce sont les intellectuels qui nous interpellent. Plusieurs d’entre eux ne comprennent pas notre silence. « Que faites-vous ? Où êtes-vous ? »
Car le peuple, c’est bien nous, hommes et femmes de la société civile qui se croisent en loge ! Or, dans ces moments de clair-obscur entre un monde ancien qui meurt et un monde nouveau qui tarde à apparaitre, Gramsci disait dans ses écrits de prison que c’était le temps des monstres. Et les évènements que nous vivons depuis le début de l’année n’en sont que les prémisses.
C’est donc le moment idéal chers Grands Maîtres pour créer la franc-maçonnerie de demain. Une franc-maçonnerie d’ouverture face aux communautarismes, une franc-maçonnerie de connaissance face au « choc des incultures », un humanisme nouveau où puissent se retrouver tous les frères et sœurs concernés par la lutte contre la barbarie. Je suis intimement convaincu de la richesse de la franc-maçonnerie « à la française ». Elle est inégalée et inégalable. Pourquoi courir après une franc-maçonnerie anglaise épuisée et déclinante ? Pourquoi vouloir être reconnus par des américains dont les blancs et les noirs font loges séparées et dont ni les uns ni les autres ne reconnaissent l’initiation féminine ?
Oui, il y a bel et bien une spécificité française à la maçonnerie, héritière de cet « esprit français » de Montaigne, de Voltaire, de Beaumarchais, de Victor Hugo, de la diversité et la fécondité de cette philosophie française : la méditation, intérieure et la discussion, extérieure, publique, politique même au sens noble du terme, qui font toute la richesse de la maçonnerie « à la française ». Le « philosophe français » serait à la fois celui du moi intérieur et du monde public. Ce serait Descartes, avec son cogito, « je pense », mais qui s’engage dans la science et l’action, et Rousseau, à la fois auteur des Rêveries du promeneur solitaire et du Contrat social. Intériorité de la pensée et extériorité de l’action, n’est-ce pas ce que l’on demande au maçon d’aujourd’hui ? L’exigence de redonner un sens comme disait Paul Ricœur. Mais aussi celle d’affronter une réalité extérieure qui ne cesse de se transformer.
Chers Grands Maîtres, il est plus qu’urgent que les francs-maçons s’impliquent, s’expliquent, fassent connaitre leurs valeurs, une certaine exemplarité indispensable par temps couvert, car comme le dit Paul Valéry  « Le vent se lève, il faut tenter de vivre », nos rites et nos rituels nous y invitent. Là est leur seule vérité. Notre seule vérité est de devenir maîtres de ce que nous sommes, c’est-à-dire pleinement responsables de notre destin commun.
Il reste à dépasser la franc-maçonnerie des Lumières qui a vécu pour changer d’ère vers une nouvelle franc-maçonnerie « traditionnelle à la française » qui initierait un humanisme postmoderne. Ce nouvel esprit maçonnique que nous sommes nombreux à appeler de nos vœux annoncerait alors de vraies perspectives de construction, de vivre ensemble, permettant de dépasser la candeur des Grecs, la naïveté des Lumières, l’optimisme du XIXe siècle, les monstruosités en ismes du XXe siècle, pour un nouveau regard sur l’homme, plus désillusionné, mais paradoxalement plus altruiste. À FMS nous avons montré humblement l’exemple du respect mutuel que peuvent se porter des frères et des sœurs d’obédiences diverses qui se rejoignent dans un travail commun. L’initiatique dans les loges, où chacun choisit l’obédience qui lui convient le mieux (monogenre ou mixte, spiritualiste ou sociétale) et l’action commune dans le cadre du think tank.
Même constat lorsque je vois le succès de l’Université Maçonnique. Ce ne sont pas des tenues, mais des conférences culturelles ouvertes aux frères et sœurs de tous grades et de toutes obédiences. On ne se pose pas la question du droit de visite et tous se reconnaissent comme tels ! Pas d’incompatibilité entre le costume cravate en loge et le jean baskets à l’université...
Alors mes chers Grands Maitres, je fais un rêve comme Martin Luther King, celui où toutes les obédiences françaises arriveront à s’entendre sur un socle commun de valeurs, qu’elles soient déistes, théistes ou libérales, dans le cadre d’une Confédération Française à présidence tournante, respectant les identités des obédiences sans prééminence autre que celle de « faire du sacré le socle de notre existence » (Ricœur)
Et ce que nous avons tous de plus sacré s’appelle la FRATERNITÉ !

 

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